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Pour aller plus loin

Pourquoi se renouveler ? Les pratiques modernes de santé mentale en Occident se fondent, par essence, sur le clivage sujet / objet - le malade ou sa maladie, issue de la pensée grecque qui a permis l’essor de la science. Toutefois, cette démarche objectivante a isolé l’objet observé, détaché la figure du fond ou le sens du contexte (ROUSTANG Non specific therapeutic factor 2002). Or s’intéresser au fond ou au contexte revient à prêter de l’importance au climat, à l’ambiance à l’atmosphère qui conditionnent a priori les observations du savant sur son objet d’étude (le malade ou sa maladie). Ainsi à l’autre pôle de l’expérience humaine (LEYS L'exotisme de Segalen 1998), l’individu peut se laisser vivre dans le "fonctionnement des choses" (tao), effaçant jusqu’au verbe "être" dans son discours antique, n’agissant qu’au moment opportun (wu-wei / défaire / "qui ne force rien peut tout") tout en se conformant à une vérité, non pas révélée dans le mystère des choses, mais mille fois vérifiée car "ça marche !". Une altérité aussi originale et radicale mérite toute notre attention pour prendre la mesure exacte de ce qui façonne notre identité, que le vent souffle d’Est ou d’Ouest, sur notre monde devenu global.

Comment se renouveler ? Aller à la découverte de l’Asie en nous, c’est accepter d'aller à la rencontre de notre part inconsciente, prise dans nos croyances avec JUNG, et logée dans notre impensé avec JULLIEN. L’expression allemande "morgenland" (orient / le levant) et "abendland" (occident / le couchant) ferait alors écho au yi king "Lorsque le yang atteint son plus grand pouvoir, la force obscure du yin naît dans ses profondeurs, car la nuit commence à midi lorsque le yang se transforme en yin".

Pour Carl Gustav JUNG (Psychologie et orientalisme 1985), le moi en Occident - assimilé à un objet distinct du monde, se raisonne sur un mode extraverti : "je pense donc je suis" (Descartes) ! Alors qu’en Orient, le moi s’éprouve en épousant en creux le monde sur un mode introverti : "tat tvam asi", (tu es cela, Veda). Ici la conscience s’est détachée de l’âme pour constituer le Moi. Là-bas, en Orient, le moi s’hypostase au point de réaliser une conscience sans moi qui "a dépassé tout chagrin et toute joie de la vie". Formulé de manière lapidaire par Jung : "ici on croit aux vitamines, là-bas on croit aux esprits ". Cependant pour Jung, extraversion et introversion sont deux modes d’adaptation au monde complémentaires et en continuité dynamique. Tout comme la diastole (dilatation) qui permet la systole (contraction) du coeur et se succédant, rythme le cours de la vie. Toute polarisation créera un déséquilibre nocif pour l’existence. L’esprit en Occident s’est écarté de son fonds inconscient dans son obsession d’objectivité au point de "voir l’âme comme résultat de processus biochimiques se jouant dans les cellules du cerveau, sans songer à la possibilité d’une démarche opposée où l’âme, la psyché, conditionnerait la fonction des cellules corticales".

La démarche de François JULLIEN, se sert du détour par la Chine comme d’un point d’appui extérieur à l’Europe pour "dépayser la pensée" : il y a ce que je pense mais aussi ce à partir de quoi je pense et que là même je ne pense pas. (Conférence sur l’efficacité 2005). Autrement dit, c’est dans les plis mêmes de la raison européenne que Jullien nous invite à débusquer son impensé - autrement dit ce dont il n'est pas conscient (Cinq concepts proposés à la psychanaly se 2012). Ce dé-calage montre que l’ombre portée d’un même objet, un cylindre p.ex., peut varier du carré au cercle ! La figure ci-contre, empruntée à la physique quantique, montre la nature incertaine de tout phénomène que l’on cherche à objectiver...