Nous montrons en quoi trois mots-clés de la pensée chinoise, Qi (énergie), Tao (voie) et Wu (vide), peuvent inspirer un modèle de réadaptation psychosomatique en contournant l’impasse de la plainte somatisée. En effet, la pensée chinoise est indifférente au clivage du corps et de l’esprit car elle est sans ontologie, se passe de concept et ignore toute téléologie. Respectivement sans sujet, sans discours et sans finalité, elle cherche avant tout comment impliquer l’individu pour rester en bonne santé au lieu de chercher à expliquer sa maladie.
Deux années se sont écoulées depuis mon départ de la clinique lorsque Michel Heller m'adressa son manuscrit pour commentaire. Le maître sollicite l'élève. Honoré par la rédaction de cette postface, je vais préciser ici comment opère notre dispositif plurimodal de prise en charge psychosomatique pour dé-faire - Wu 無, évider la plainte.
Un détour par l’écriture idéographique chinoise permet de déplier (ex-pliquer) ce qui est pris dans le pli de la langue à partir de laquelle nous pensons la dépression et que, par là-même, nous ne pouvons pas la penser complètement. Cet impensé, le soupir, met en lumière le processus dépressif comme une stratégie du vivant pour réguler l’organisme en sur-pression qu’il faut aider à dé-pressuriser par des techniques de l’esprit (parler) et des techniques du corps (respirer).
Exposé à destination des collègues engagés sur le terrain de la santé mentale pour rendre efficientes leurs interventions à partir de "l'autre pôle de l'expérience humaine". J'ai nommé ma démarche : La psinologie pour usage . . . C'est une réflexion que je mène depuis le début de mon apprentissage de psychiatre, il y a 30 ans. Tout est parti de ce tableau de Magritte : Les deux mystères. Pourquoi c'est écrit que ce n'est pas une pipe ? C'est pourtant bien une pipe que je vois ! Et qu'est-ce néologisme, issu d'une contraction de sinologie (étude de la culture chinoise) et de psychologie (étude du psychisme) ? Je vous démontrerai, qu'au terme de mon propos, Les deux mystères vous sera résolu car vous en aurez saisi le sens au retour de l'Extrême-Orient, après un détour par la psinologie.
L'UNITE DE READAPTATION PSYCHOSOMATIQUE UPSO du Noirmont s'occupe de troubles fonctionnels, c'est-à-dire de désordres physiologiques des organes avant qu'ils ne deviennent lésionnels. Ce sont essentiellement des manifestations corporelles du stress dans les situations où les capacités d'adaptation sont dépassées (surcharge professionnelle ou pertes cumulées licenciement-divorce-garde partagée des enfants en sont les exemples classiques). Un changement de paradigme, en déterritorialisant la pensée - celle chinoise (processive, non catégorielle, axée sur le souffle) ou celle des sociétés traditionnelles (le mal, le malheur, la malchance), est nécessaire si l'on veut dépasser le sentiment d'impuissance à soigner la souffrance alors que le malade s'entend répondre "vous n'avez rien". C'est le défi que nous pose l'inconscient, "malgré un siècle de psychothérapie", pour résoudre l'énigme de la somatisation.
En avril 1975, la fin de la guerre du Vietnam fut un malheur pour ma famille. Mon père, conseiller d'ambassade du Sud Vietnam en poste à Bruxelles a tout perdu, son pays, nos biens et ses idéaux. Il sombrait dans une sorte de léthargie, coupé du monde, des années durant. Ma mère, femme de diplomate, qui avait appris le métier d'esthéticienne en dilettante, s'est retrouvée propulsée du jour au lendemain chef de famille, puisque c'est elle qui allait ramener au début l'essentiel de l'argent du ménage !
En suivant les thèses du sinologue François Jullien, nous confrontons deux visions du monde sur les interventions de crise. Celle de la Grèce antique qui glorifie le sujet, l’action et la volonté pour affronter le monde suivant un plan qu’elle a pensé et projeté sur la situation : elle bâtit le monde. Et celle de la Chine qui s’efface au point de se fondre dans le cours des choses pour mieux faire advenir leurs effets en anticipant sur le pas encore visible : elle transforme le monde.
De quoi s’agit-il ? D’une traversée de tout le Turkestan chinois (Kirghiztan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan, l’actuel Xinjiang chinois) jusqu’au Gandhara indien faite en 629 par un moine bouddhiste chinois Huan Tsang accompagné de trois disciples en suivant la Route de la Soie (Kou Tcheou, Karachar, Samarkand,…). Ceci à la recherche des Livres Saints boudhistes, grâce auxquels se fit la future implantation de cette religion en Chine, jusque là sous influence Taoïste.
Les pratiques modernes de santé mentale en Occident se fondent essentiellement sur le clivage sujet / objet - le malade ou sa maladie, issue de la pensée grecque qui a permis I’essor de la science. Toutefois cette démarche objectivante a isole I’objet observé, détache la figure du fond ou le sens du contexte1. Or s’intéresser au fond ou au contexte revient a prêter de I’importance au climat, a I’ambiance et a I’atmosphère qui conditionnent a priori les observations du savant sur son objet d’étude (le malade ou sa maladie).
Trois vignettes cliniques vont illustrer ce que j ’entends par facilite, en fonction du temps, de la résistance et des moyens déployés face a I’obstacle.